A l’heure où les 70 pôles de compétitivité affûtent leurs indicateurs à l’approche de leur évaluation intermédiaire dans le cadre du contrat de performance 2013-2018 signé avec l’Etat, certains se demandent à quelle sauce ils vont se faire manger.
Dans un contexte fait de certitudes (baisse des crédits de fonctionnement octroyés par l’Etat) et d’incertitudes (certains pôles seront-il rayés de la carte ?), il peut être utile de mettre en perspective certaines questions qui font enjeu.
1) Les pôles de compétitivité coûtent-ils chers ?
En première approche, et sans tenir compte des impacts de la Loi NOTRe sur l’équation économique en 2016, considérons que le budget octroyé au fonctionnement des 70 pôles de compétitivité est de l’ordre de 40 millions d’euros, provenant pour moitié de l’Etat et pour autre moitié des Régions. En comparaison, le solde budgétaire de l’Etat était en déficit d’environ 75 milliards d’euros en 2014 et le budget de fonctionnement de la Région Centre Val de Loire était supérieur à 1 milliard d’euros en 2015.
Quand certains pôles donnent à voir un effectif de PME, cela vient de la mise à disposition de salariés de grandes entreprises, pas de l’argent du contribuable.
Cette question ne se pose donc pas.
2) Les pôles produisent-ils de la richesse ?
Une étude commandée par la DGE, en cours de réalisation, devra répondre à la question de l’impact des pôles sur le développement économique et la création d’emplois dans leurs territoires.
En écho à la volonté de l’Etat de changer en 2013 le cadre de référence et de demander aux pôles de passer de l’usine à projets (R&D) à l’usine à produits, il peut être utile de revenir sur des résultats de l’évaluation de 2012 : durant la période 2008-2011, les 71 pôles (ils étaient 71 à cette époque) avaient filtré dans leur ensemble 4,5% des dépenses nationales de R&D (entreprises et administrations comprises), ce qui représentait 5,7 milliards d’euros dont 2,7 milliards de financements publics (1).
En comparaison, le budget R&D de PSA, premier déposant français de brevets, est proche de 2 milliards d’euros.
En prenant un contre-pied entendu et bienveillant, s’étonnerait-on que 70 pôles de compétitivité, dont nous rappellerons qu’ils détiennent dans leur écosystème voire dans leur gouvernance la plupart des entreprises industrielles et technologiques du CAC 40 et du SBF 250, concentrent des investissements privé-public de R&D 100 fois supérieurs, ~100 milliards par an, ~50 PSA ?
Considérons deux approches pour aborder la très complexe question de la richesse créée par les pôles de compétitivité.
La première nous vient du théorème de Schmidt : les investissements d’aujourd’hui sont les profits de demain et les emplois d’après-demain. En appliquant ce théorème aux pôles, il en ressortirait que les investissements en R&D d’aujourd’hui sont les produits de demain, les profits d’après-demain et les emplois d’après après-demain. Cette approche pourrait nous amener à considérer in fine – retour à la première question posée – que les pôles ne coûtent pas assez chers ! En d’autres termes, ne pas investir massivement dans l’usine à projets, a fortiori sans vision business selon le modèle de Porter, crée le risque que les pôles soient perçus comme timides producteurs de richesse économique et sociale.
La deuxième approche nous vient d’une anecdote choisie – un exemple parmi d’autres – d’un pôle national faisant systématiquement partie des bons élèves lors des évaluations mais fédérant une filière de tradition ayant perdu ses marchés historiques et n’ayant pas l’accès direct aux marchés de repositionnement. Sollicité en quelques semaines par PSA précisément, ainsi que par quelques beaux fleurons de l’industrie française, ce pôle semblerait être le seul capable d’adresser des solutions de ruptures très pointues. Dans cette approche, comment évalue t-on la richesse créée par le pôle ? A un équivalent facturation lié à quelques semaines d’expertise ou bien à la détention d’une compétence R&D rare capable de lever des verrous « techno-marchés » ?
Evidemment il existe une troisième voie que nous observons parfois : s’autoproclamer géniteur de futures licornes telles que Sigfox (merci Anne Lauvergeon au passage !) ou encore assimiler un pôle à la filière industrielle qu’il représente (ce qui peut avoir du sens pour des filières programmatiques avec une supply chain très structurée : aéronautique/spatial, automotive, nucléaire). Cette troisième voie génère au quotidien une question problématique : qui produit la richesse à la fin de la journée et comment quantifier la contribution du pôle à cette production ? Quand une entreprise demande chaque semaine à ses commerciaux combien d’arbres ils ont planté dans la semaine et quelle sera la taille de la forêt à la fin du mois, le risque est que ces derniers passent plus de temps à créer des actions dans la CRM qu’à construire sur le terrain…Dans cette troisième voie, l’on produit une richesse de reporting.
En conséquence, deux questions nous paraissent fondamentales :
– sur quels critères doit se fonder véritablement et en priorité la richesse créée par les pôles de compétitivité ? (par extension, tous les pôles sont-ils à loger à la même enseigne de critères ?)
– quel est le modèle économique pour y répondre ?…en lien avec la proposition de valeur, voir notre 3° question.
3) Les pôles sont-ils trop nombreux ?
Les questions binaires ont pour principal mérite qu’elles obligent à prendre position. Et pour ce que nous en savons, Emmanuel Macron aurait émis l’intention de prendre des positions fortes.
L’évaluation qui vient de s’ouvrir se devra donc a minima de donner à voir un examen comparé des pôles sur l’échiquier des 9 solutions industrielles (ou filières prioritaires) du Ministère de l’Economie.
En parallèle, nous suggérons une autre question, qualitative celle-là : tous les pôles portent-ils, en lien avec les stratégies régionales d’innovation et les SRDEII, la bonne proposition de valeur ?
A fortiori dans un contexte français de faible mobilité du travail et des travailleurs, pousser la spécialisation des Régions et spécialiser artificiellement certains territoires à travers les pôles de compétitivité et les clusters (et les Prides), n’est-ce pas faire peser sur certains territoires un risque face à des chocs sectoriels qu’amène naturellement la mondialisation ?
Quelques soient les résultats et conclusions des deux rapports d’étude qui seront remis à la DGE avant l’été, gageons que les nouvelles Régions auront à s’emparer de ce sujet et à questionner l’alignement de leur SRDEII avec la proposition de valeur des pôles de leur Région ; ou l’inverse !
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(1) en complément, les financements publics n’ont cessé de diminuer, passant de 799 millions d’euros en 2007 à 562 millions d’euros en 2011.